Saison 2021 – 2022
20 ANS !
Voilà 20 ans qu’à travers orages et tempêtes, mais aussi par mers de petite houle et de grand calme baignées de soleil, accrochés au bastingage du Théâtre du Rond-Point, contournant les marécages de la bien-pensance et les courants froids du bon sens unique, nous continuons de maintenir le cap vers l’insolite, l’audace joyeuse, l’inattendu, droit vers l’émerveillement.
Il y eut parfois de brèves fausses routes, quelques échouages de courte durée, mais rien qui n’a empêché notre élan de briser le consensus et de nous évader de la prison des gens qui savent.
20 ans où, de plus en plus nombreux, vous avez chaque année rejoint notre bateau pirate, voyageant vers des rivages inconnus et des cieux étonnants, faisant fi de l’indifférence des puissants, d’une pandémie gluante et de raisonnements assassinant la pensée. Avec nous, vous avez inventé le Rond-Point, vous êtes ce théâtre dont l’existence est la vôtre. Pour cela je voulais vous remercier.
Cette saison encore, les 38 spectacles que nous vous proposons continueront à creuser des galeries vers la joie.
Jean-Michel Ribes
Saison 2020 – 2021
Reprendre ses droits
Rire de résistance / saison 14
Ainsi donc, il aura fallu l’apparition d’un virus tuant des milliers d’êtres humains, en jetant des millions d’autres dans la précarité et le chômage, ruinant l’économie mondiale, pour que nous puissions entendre à nouveau chanter les oiseaux, regarder la baleine danser avec le dauphin, le flamant rose récupérer les étangs désertés, le sanglier traverser les villes et les bouquetins se multiplier à flanc de montagne, le tout sous l’azur enfin retrouvé d’un ciel purifié. La nature a repris ses droits ! À quel prix ! La terre, hôtesse généreuse accueillant depuis toujours sur son sol tous les vivants, monstres compris, nous innocente de la soudaine présence du Covid 19, dont nous ne sommes pas plus responsables que de la disparition des dinosaures ou du parfum de la glycine. Il est sûr que cette rapide oxygénation de la terre, aussi soudaine qu’imprévue, obligera le monde d’après à dépolluer d’urgence la planète.
Mais l’autre pollution ? Quelle autre me direz-vous ? Celle qui étouffe l’esprit, censure la pensée, empoisonne l’imaginaire, la combattons-nous à hauteur de ses méfaits ? Un Tweet de Donald Trump n’est-il pas plus nocif que mille usines à charbon, l’abjection de la politique de Jair Bolsonaro, dictateur homophobe et raciste, ne nuit-elle pas plus à l’humanité que la fonte de la banquise ? Et que dire des agissements d’Erdoğan, d’Orbán et autres Poutine, dont le populisme racoleur anesthésie chaque jour un peu plus l’imaginaire du monde ? Sans oublier, véritable marée noire, l’obscurantisme galopant du fanatisme religieux qui engloutit notre liberté d’être. Le retour à la morale définitive et aux certitudes autoritaires des partis d’extrême droite est bien plus nuisible à nos rêveries d’avenir que ne l’est n’importe quelle déforestation pour la planète. Alors que faire ?
Il nous reste l’émerveillement, le désir, la création. Le Caravage, Rabelais, Offenbach, Beckett, Fellini, les Rolling Stones, Basquiat, les Gymnopédies de Satie, les Monty Python, Louise Bourgeois… et tous ceux qui nous donnent l’envie de respirer, défenestrant à jamais les pollueurs d’idées.
Que la nature reprenne ses droits, parfait, mais qu’ils soient les nôtres aussi :
Plantons de l’art ! Plantons de l’art ! Plantons de l’art ! Jean-Michel Ribes
Saison 2019 – 2020
ESPACES VACANTS
Rire de résistance / saison 13
À la truelle, chaque jour, voire chaque minute, l’information construit le mur immense du savoir immédiat. On nous dit tout. Ni trou, ni espace vacant. Tout est rempli. Gracieusement bouché. Le climat, la politique, le sport, les méfaits de la viande, le nucléaire, la pollution, le prix de la truffe du Périgord, les couches-culottes empoisonnées, la vitesse autorisée, les migrants, les noyeurs des migrants, les attentats, l’extinction progressive des abeilles, le valet de chambre du président de la République, le bio, le faux bio, la galette des rois et puis tout le reste, l’intégralité du reste. Voilà, vous savez tout, on ne pourra pas nous dire qu’on cache la vérité. Elle est immédiatement expliquée, raisonnée, prouvée.
Mais quelle est alors cette minuscule plante qui se glisse entre deux parpaings de certitudes révélées ? Ce fragile brin d’herbe qui refuse de mourir sous le béton des choses si importantes ? C’est l’art. L’art à qui l’on ne consacre plus aucun espace vacant. L’art oxygène, l’art qui nous protège des vérités qui tuent et des robots annoncés, l’art pourvoyeur de rêves, l’art de vivre.
Vivement que cette petite plante fasse s’écrouler ce mur.
Jean-Michel Ribes
Saison 2018 – 2019
RÉVOLTE
RIRE DE RÉSISTANCE / SAISON 12
L’art, seule résistance à un monde codifié, est la proie quotidienne de la culture qui, par un souci de politique démocratique, veut l’enseigner à tous. L’art ne s’apprend pas. Quand cessera ce catéchisme stérile qui ronronne depuis des années, dévitalisant nos émotions dès qu’elles s’écartent d’une beauté obligatoire ? Quand finira-t-on ce mariage forcé avec les classiques définitifs et les avant-gardes à la mode ? Racontez-nous l’histoire de l’art mais s’il vous plaît, ne nous expliquez pas l’art. Ne transformez pas le plaisir de culture en devoir de culture. Quand existera-t-il un ministère du rêve et de l’ailleurs pour nous ouvrir les portes de paradis inconnus sans jamais nous désigner les dieux que nous devons célébrer ? « L’oeuvre est faite par celui qui la regarde », disait Duchamp et non par celui qui l’enseigne. Ne guidez pas notre regard sur le vôtre, ne tentez pas d’apprendre à tous le goût de quelques-uns, au risque de nous faire devenir ces imbéciles qui « ne voient le beau que dans les belles choses » (Arthur Cravan), mais jetez-nous dans ce dernier petit vide que ni le savoir ni la théorie n’ont encore bouché, une issue de secours dans cette « asphyxiante culture » comme la nommait Jean Dubuffet. Quant à l’argent, ces subventions si décriées, ne le rationalisez pas pour le justifier, ensemencez-en les champs en friche où poussent l’imagination, les pensées folles et les désirs qui réinventent le monde par des chemins de traverse. Ne nous cultivez pas, élevez-nous.
Demandons-nous si le mystérieux sourire qui éclaire le visage de la Joconde n’est pas dû à sa rencontre avec un jeune homme qui ne connaissait rien d’elle ni de celui qui l’a peinte et qui pourtant en est tombé amoureux.
Alors ne rien transmettre direz-vous ? Si, la fête, la joie, le plaisir de l’éblouissement et la liberté d’être soi. Cette saison encore le Théâtre du Rond-Point vous le propose. Jean-Michel Ribes
Saison 2017 – 2018
Inventer le réel
Rire de Résistance / saison 11

La réalité est-elle l'accomplissement de nos rêves, la concrétisation de nos désirs ou l'évolution implacable d'un déterminisme planétaire qui nous emprisonne ? La barbarie est-elle la réalisation de nos cauchemars que tâchent d'effacer nos rêves de progrès, de justice et de beauté en faisant naître l'écologie, les droits de l'homme, Mozart, Hugo ou Matisse, ou sommes-nous condamnés à perpétuité à nous agiter dans la forteresse d'une destinée inéluctable, sans espoir de s'en évader, fracassant nos utopies contre ses murailles de certitudes ?
Libres d'agrandir la vie en inventant un réel désiré par nos songes ou se résigner à accepter une fatalité inamovible, ordonnant nos existences selon un schéma préétabli.
S'il est un endroit où le rêve est fécond c'est le Théâtre, petit lieu où sont nées de grandes idées, la démocratie et la liberté d'être soi entre autres. C'est sur sa scène que la parole du poète dit son rêve du présent et son désir d'avenir brisant les ténèbres qui s'accumulent, en anéantissant la fatalité du populisme.
Au Rond-Point, cette saison encore plus que les précédentes, nous avons décidé d'augmenter nos rêves et les vôtres.
La Ministre de la Culture et la Maire de Paris ont souhaité que je poursuive pendant les cinq prochaines années la mission que m'avaient confiée Bertrand Delanoë et Catherine Tasca en 2001, célébrer la vivacité de l'écriture dramatique d'aujourd'hui en la partageant avec le plus large public. En les remerciant j'ai accepté leur demande. Continuer à conduire le Rond-Point accompagné d'une équipe exceptionnelle avec l'audace joyeuse d'un bateau pirate, c'est un rêve !
Jean-Michel Ribes
Saison 2016 – 2017
Peur
Rire de Résistance / saison 10

Il y a quatre siècles, dans un discours charpenté de méthode, le bon René Descartes, philosophe bardé de raison, désignait le bon sens comme la chose la mieux partagée du monde. Il serait savoureux de voir soudain ce penseur jaillir en ce début de XXIe siècle dans le brouillard brouillon où nous baignons. Apercevrait-il encore ce commun bon sens chez nos concitoyens, pataugeant sur place, la pensée anesthésiée, la révolte en berne et les rêves éteints par la crainte de quitter le XXe siècle ? Ne serait-il pas surpris de constater que la chose la mieux partagée du monde n'est plus le bon sens mais la peur ?
Peur de tout, peur de rien, peur d'hier, de demain, du terrorisme comme du gluten, peur de l'autre, d'Ebola, des banques, des migrants, du chômage, des rides, du patron, des lois, des banlieues, des arbitres, des tempêtes, du porc, des loups, des rues étroites, de l'Europe, de la drogue, des insectes, des insecticides, des médias, peur du noir, peur du rouge, des jours qui raccourcissent, des arbres qui tombent, des avions aussi, peur de son père, des Russes et des Chinois, de la banquise qui fond, des tigres qui disparaissent, des leaders éclairés, des ténèbres, du vide, peur d'être laid, de perdre sa vie, son temps, son smartphone, de n'être pas choisi, invité, remarqué, d'être seul, oublié, peur d'être soi, peur d'être
Marchandisant aussitôt stress et angoisses, apparaissent à foison politiciens, prophètes, prêtres, guérisseurs, gourous et charlatans de tous bords, offrant promesses d'avenir, remèdes miraculeux et plantes magiques, qui n'apportent ni rassurance ni apaisement, n'aboutissant qu'à fortifier l'intranquillité de tous. Le jour s'enfuit, la lumière décline, les horizons se bouchent, Dieu est absent, la raison a cédé, nous avons peur. Que reste-t-il pour échapper à ce naufrage, sinon d'en rire ? La terreur n'a pas d'humour, nous si. Profitons-en ! S'il est un seul endroit qui résiste à l'effroi, où la danse des mots joyeux, des idées à contresens et le plaisir d'inventer font peur à la peur, c'est le théâtre. Celui du Rond-Point tente cette année encore de fustiger la peur en l'ignorant : « étonner la catastrophe par le peu de peur qu'elle nous fait », clamait déjà Victor Hugo.
Jean-Michel Ribes
Saison 2015 – 2016
Libres !
Rire de Résistance / saison 9

Le Théâtre du Rond-Point, devenu celui des auteurs vivants, tente chaque année de saluer avec joie l'insolence d'être, la liberté de la différence, celle de penser ailleurs, de fuir les horizons de papier, les équations résolues et les enseignements du consensuel.
Voilà qu'en janvier de cette année 2015, ceux-là mêmes qui incarnaient l'esprit de révolte face à l'acharnement du bon sens et à la tyrannie des gens qui savent, ont été assassinés par l'abject fondamentalisme qui s'empare jour après jour de cerveaux vidés par une époque avachie dans ses certitudes, son bon goût et l'étroitesse de sa morale. C'est en hommage à tous ceux qui sont tombés, le rire de résistance au poing, sous les balles de têtes brûlées par le réchauffement d'une planète que consume
la haine des fous de Dieu et la barbarie aveugle du fanatisme, que nous continuons à rester debout, libres et vivants en leur dédiant cette treizième saison de notre théâtre.
Jean-Michel Ribes
Saison 2014 – 2015
Simple !
Rire de Résistance / saison 8

Le XXIe siècle débute quinze ans après sa naissance, comme ses prédécesseurs. Peut-être a-t-il plus de mal à naître que les autres, s'accrochant à des idéologies épuisées portées par des pensées sans renouveau pour lutter contre la crise qui l'étouffe, avec pour seule arme la simplification du monde. Simplifier le langage, simplifier les idées, simplifier les morales et les comportements, simplifier l'amour, le diable et l'erreur sans jamais considérer le foisonnement de l'univers et sa complexité qui en est sa richesse, sans jamais envisager une renaissance, une révolte salutaire, une mise hors d'état de nuire de comportements économiques mortifères qui rouillent l'espoir et le devenir. Devant la peur d'un inconnu nécessaire, la simplification apparaît comme le salut d'une société qui s'embourbe dans une réalité dont elle ne veut pas abandonner l'héritage. Mais simplifier n'est pas éclairer, simplifier n'est pas voir devant, c'est simplement réduire, rétrécir, c'est parvenir à ne plus douter, à pouvoir enfin désigner le coupable sans hésiter, c'est fuir la pensée et choisir le raisonnement, c'est détourner le rêve et échapper aux nuages pour, sans faillir, encadrer, aligner, et ne voir qu'une tête, à mon commandement, en avant, marche ! C'est pourtant simple, le Noir est Noir, le Blanc est Blanc, Dieu a créé le Monde et le premier Homme est Adam. Ouf, on respire ! C'est simple ! Lent retour en arrière où l'autre, l'étranger, le différent est l'ennemi, retour à la force justicière, à l'Homme dominant et homophobe qui remet les pendules à l'heure, retour au racisme salvateur et à la xénophobie décomplexée, retour à l'humour noir horriblement blanc porté par un humoriste africain. Enfin les ténèbres accourent protégeant notre regard de la vivifiante iconoclastie d'une planète jeune creusant des galeries vers la joie d'être ensemble... « Ami entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines »... et surtout sur nos villes. Alors il reste le Théâtre, accueillant la vraie vie, celle des hommes qui repoussent le déclin des cervelles simplifiées... Rigolade et pied de nez à ces clowns noirs qui galopent dans l'obscurité d'un passé effondré.?
Jean-Michel Ribes
Saison 2013 – 2014
Sources
Rire de Résistance / saison 7

Quels sont ces plaintes, ces cris, ce désarroi, d'où vient cet abattement ? Aurions-nous peur de quitter ce vingtième siècle qui n'en finit plus de mourir, peur d'un avenir vide, de son libéralisme aveugle, de ses privilèges définitifs, de ses acquis sociaux immobiles, de ses Républiques épuisées, de ses « trafisc » en tout genre, de son Europe exsangue ? Quelle panique nous saisit devant ce monde qui s'ébroue, se meut, veut renaître autrement, débarrassé des égoïsmes rigides, des morales à bout de souffle et des pensées sans utopie ? Un monde qui s'échappe de cette époque que Saint-Exupéry haïssait de toutes ses forces car, écrivit-il : « Elle laisse l'Homme mourir de soif. » Ce siècle il est vrai nous a déshydratés, la joie se tarit et l'espoir d'un lendemain joyeux s'assèche. D'autant qu'après tant d'autres, deux grands porteurs d'eau viennent de nous quitter, l'un nous laissant Diablogues et Naïves hirondelles pour égayer nos journées grises ; l'autre faisant danser dans nos larmes son Magic Circus et ses animaux tristes. Pour autant, n'en déplaise à ceux, souvent haut placés, qui clament qu'en temps de crise la culture ne doit pas être la priorité d'une nation, c'est l'art et lui seul qui nous apporte l'eau claire et la résistance à la désertification des rêves. C'est dans les théâtres que jaillissent l'enchantement, les horizons inexplorés et l'espoir d'un avenir bondissant. Petits ruisseaux et grands fleuves qui mènent vers ce nouveau monde tant attendu prennent souvent source sur scène. Venez vous y désaltérer, vous rafraîchir pour quitter joyeusement les funérailles de ce siècle calcifié.
Jean-Michel Ribes
Saison 2012 – 2013
Le verbe Vivre
Rire de Résistance / Saison 6

L'engrossant de cinq cents mots truculents, joyeux et révoltés, Rabelais lui donne vie, libérant à jamais d'un latin épuisé d'ordre et de convention, la toute jeune langue française qui jaillit, offrant à la Renaissance le langage de son génie. Débordé par sa vitalité et le foisonnement de son extravagance, Malherbe, comme on redonne vigueur au buis qu'on taille, la contraint, l'oblige à la grammaire et à la règle. Impeccable, tendue dans l'éclat, elle permet à Racine de nous célébrer en pieds douze fois répétés la tragédie de l'Amour, puis doucement s'empare avec sensualité de Molière qui en fait le parler de tous et la comédie de toujours. Vive et résistante aux absolutismes religieux et royaux, elle donne lumière à la Raison et piquant à l'esprit de Voltaire ; puis chante la liberté, la patrie sans culotte et lance un verbe tonnant et rugissant sous la plume d'Hugo. La voilà menacée d'emphase, aussitôt les dadaïstes s'en saisissent et la plongent au fin fond des cocasseries de l'âme humaine, elle en ressort, distribuant avec fantaisie le vocabulaire de l'inconscient. Goûteuse et savoureuse, Claudel la mâche tandis que Raymond Queneau et Jean Tardieu lui font la fête en valsant d'un mot sur un autre, à la place d'un autre, puis la mêlent aux chiffres pour la plus grande joie de l'Oulipo. Enfin amoureux d'elle Guyotat l'embrasse, l'étreint, Duneton la défend tandis que Novarina l'invente et la déguise. Bondissants, fluides, revêches, enflammés, obscènes ou spirituels, les mots sont notre coeur qui bat, la viande de nos rêves, notre pensée qui court, nos larmes et nos rires, tout simplement la vie. Mais aujourd'hui, que de grisaille, quelle lassitude, que de paroles vides, que de phrases plastifiées à force d'être mastiquées par une politique fade et rabâcheuse, sons et sens usés, dans un audiovisuel sans joie ni scandale... Vulgaire et désarmée, la langue se traîne, les idées l'abandonnent et peu à peu la vie s'affaisse... Reste le Théâtre, îlot où le verbe vivre resplendit. Merci aux nombreux auteurs de lancer sur scène la jouissance de leurs mots pour que la vie s'invente, se colore et s'envole à nouveau.
Jean-Michel Ribes
Saison 2011 – 2012
Dans quel état sommes-nous ?
Rire de Résistance / saison 5
Y'a de la joie ! Quelle invisible pollution s'est abattue sur nous, gens de l'Occident, inventeurs du monde, qui peu à peu nous assoupit l'esprit, endort nos révoltes, affadit nos joies ? De quelle anesthésie sommes-nous victimes ? Dans quel sommeil nous englue-t-elle lentement ? Vers quel coma d'une civilisation définitivement figée dans la confortable certitude d'être l'essence du genre humain et sa sauvegarde, nous entraîne-t-elle? Quelle est cette médecine que l'on nous inflige, faite de politiques immobiles et sécuritaires qui stimulent la peur de l'autre - surtout lorsqu'il vient de loin - et nous fait perdre conscience pour mieux nous en protéger ?
Qui nous replie, nous rétrécit, nous paralyse ? Dormons-nous ? Dormons-nous ? Impuissants à sonner les Mâtines ?
Dans quel état sommes-nous ? Dans quel état sont nos États ? Nous avons pourtant toujours su nous épouiller de nos étouffements tyranniques. En témoignent la Renaissance, la Bastille, et autres résistances à l'asservissement et au recul. Aujourd'hui cela tarde. Que serions-nous devenus si soudain, loin de nos frontières fortifiées et de nos savoirs impeccables, dans une petite ville du désert où rien ne semble exister, un jeune homme en s'immolant par le feu n'avait fait rejaillir la vie en rappelant au monde que rien ni personne n'interdira la joie d'être libre.
Le Rond-Point fête sa dixième saison, célébrant encore une fois des auteurs vivants qui à travers leurs créations vous donneront, j'espère, l'envie de vivre éveillés et joyeux.
Jean-Michel Ribes
Saison 2010 – 2011
Les monstres
Rire de Résistance / saison 4

Origine. La nôtre. Irruption. Ainsi naissons-nous. Sans norme ni contour. Lave mêlée, viande rouge, gènes en fusion, cheveux frisés, sexe divin, coeur au galop et pensées sans fin. Nous jaillissons refusant d'emblée ce monde où la parole ne peut dire l'immensité de nos désirs, la fureur de nos rêves et notre douleur d'exister. Nous crions, rage et panique, dès l'apparition de nous mêmes enfermés dans une peau d'humain. Le combat pour la liberté va durer quelques mois puis, sous les coups répétés de la civilisation raisonnante, notre génie considérable va se réduire en morale tiède et bon goût parfumé avec, comme seule autorisation de sortie, diverses églises où notre âme se cabossera sur des dogmes. Ainsi le bébé géant que nous sommes, l'enfant-dieu, le monstre lumineux pénètre penaud dans la cage du réel, rapetisse soudain et devient homme. Apparaît alors le secrétaire de mairie, le nouveau philosophe, le gastro-entérologue et le tennisman.?Chez certains pourtant la braise des origines ne s'est pas éteinte, elle continue de raviver le souvenir de ce jardin perdu où dans une joie complice l'enfer et le paradis nous faisaient enjamber tous les horizons par-delà le bien et le mal. Ceux-là artistes ils sont. Et leurs chefs-d'oeuvre témoignent des êtres fantasques et démesurés que nous aurions dû être.?De Polyphème le cyclope d'Homère au Minotaure de Dante, du Dracula de Bram Stoker au Quasimodo de Victor Hugo, des ogres de Grimm au Docteur Jekyll de Stevenson, de Phèdre dont Racine nous rappelle en un alexandrin qu'elle est la fille de Minos et de Pasiphaé, mi-femme mi-déesse, sans oublier Les Songes de la raison de Goya, Le Jardin des délices de Jérôme Bosch ou Les Monstres sacrés de Cocteau.?Il en est d'autres chez qui, torturés par la norme et la loi des hommes, la braise originelle s'enflamme soudain vengeresse jusqu'à leur brûler la tête. Alors surgit de leur cervelle en cendre le seul monstre noir contenu jusque-là dans nos cauchemars et qui, le temps d'un génocide ou d'un meurtre dans une ruelle, ravage une humanité qui les étouffe.?Ainsi en est-il des monstres, c'est-à-dire de nous-mêmes. Il n'y aurait pas de théâtre sans eux. En voici donc certains cette saison sur la scène du Rond-Point. Ils vous rappelleront peut-être quelque chose.?
Jean-Michel Ribes
Saison 2009 – 2010
Théâtre et musique ?ou l'inverse mais pas ?le contraire
Rire de Résistance / saison 3

Trompette, lyre, flûte, tambour, les neuf muses ou presque tiennent un instrument de musique à la main. Même Sapho, rajoutée sur le tard au troupeau par Platon, se jette dans la mer, une harpe sous le bras. C'est dire si dès l'origine on avait saisi combien la musique était la mère de tous les arts. Pour qu'on ne s'y trompe pas on lui avait donné le nom des Muses. Mais n'est-il pas vrai qu'un poème qui ne chante pas n'en est pas un, que sans rythme ou harmonie Peinture et Architecture finiraient en poussière, et quels rires ou pleurs déclencherait le Théâtre s'il n'était une partition de mots justement composés jusqu'à la rhétorique dont la mécanique raisonnante ne nous parvient que parce qu'elle est cadencée.
C'est cette alliance, ou plutôt cet alliage qui donne sonorité à la parole et mélodie aux idées, que nous avons voulu célébrer cette année au Rond-Point en lui consacrant notre thème de la saison 2009-2010. Retrouver sur scène l'auteur et le compositeur qui parfois ne font qu'un, s'enchantant l'un l'autre quand ils sont deux. Faire sortir la musique dans le théâtre et le théâtre dans la musique en vous entraînant dans des contrées d'écriture et de composition les plus diverses. Pour vous en dire l'étendue et l'ouverture, s'il ne s'était agi que de musique seulement j'aurais intitulé cette aventure "De Boulez à Lopez".
Sachez en tout cas qu'à travers cette nouvelle saison, fidèles à notre désir de toujours nous perdre dans l'étonnement et l'inattendu de la création, nous espérons de tout coeur pouvoir vous emmener vers des mondes meilleurs.
Si vous ressentez un léger manque de musique dans ce court éditorial, fredonnez-le. Merci.
Jean-Michel Ribes
Saison 2008 – 2009
Familles, mafias et autres tribus
Rire de Résistance / saison 2

Nous sommes tous frères ici bas... et heureusement pas beaux frères! ce bref aphorisme d'un humoriste inconnu rappelle avec lucidité la réalité de notre condition humaine: la Famille. Lieu de tous les amours, de toutes les haines, des bonheurs et des violences, des massacres de l'enfance et de ses tendresses infinies. Foutoir dans lequel se débat l'humanité depuis toujours, incapable d'échapper à cette fatalité, qu'avant de naître libres et égaux nous sommes d'abord fils ou fille d'un père et d'une mère eux-mêmes ayant subi le même sort et ainsi de suite. Toute tentative pour briser cet état de chose ne fait que l'empirer. Ceux qui fuient la famille ne réussissent souvent qu'à en créer une nouvelle ou à en rejoindre d'autres, qui pour n'être pas consanguines n'en sont pas moins idéologiques, religieuses, ou politiques. Même les plus hardis, allant jusqu'à se couper du monde pour s'en libérer, ont échoué. L'anachorète perdu dans son désert se retrouve seul face à Dieu le père; quant au savant se réfugiant dans une solitude absolue pour tenter de comprendre l'univers, découvre soudain sous son microscope la cellule mère. Point d'issue donc. La famille nous constitue. Elle nous érige et nous étouffe, nous protège et nous détruit. Permanents champs de batailles où combattent sans répit désir de liberté et instinct grégaire, fierté d'appartenir à une lignée et volonté d'être soi. Mais de ce chaos naissent des étoiles: romans, théâtre, poèmes. Nous avons voulu vous offrir quelques uns de ces astres jaillis du magma familial, spectacles dont la grâce vous libèrera un instant de toute parenté. Le Rond-Point n'échappe pas aux règles. Et même si nous l'avons voulu singulière, il forme une famille. L'un de ses membres talentueux quitte cette année ses fonctions de consultante. Saluons avec affection et gratitude Josyane Horville qui reste présente dans nos esprits et dans nos coeurs.
Jean-Michel Ribes

Cette saison, nous célébrerons à travers "le Rire de Résistance" tous ceux, fils et filles de Rabelais, Molière, Jarry, Dario Fo, Coluche, Picabia et autres dadaïstes, qui par le rire, la raillerie et l'insolence ont su résister à toutes les dictatures de la réalité et à l'hégémonie du sérieux. Ce sérieux qui solidifie les idées, que la morale fortifie et que le bon goût engraisse au point qu'il en finit par boucher la pensée.?Cholestérol de l'utopie et de la création, nombreux sont ceux et celles qui, par bouffonneries iconoclastes, l'ont fendillé jusqu'à ce que la lumière passe à nouveau. Pour les saluer comme ils le méritent, à côté de nos spectacles, nous avons créé l'Université du Rond-Point, sorte de Sorbonne drolatique installée dans la salle Topor où toute une série de personnalités viendront chaque soir déclencher la fureur des gardiens de la norme en nous offrant causerie, conférence ou performance pour jouir sans entrave.
Jean-Michel Ribes
Saison 2006 – 2007
Pour en finir avec la réalité

Ainsi donc le monde devient mondial, la liberté libérale, les horizons s'effacent, l'avenir se calcule, les rêves s'expliquent et la raison raisonne à tout va. Nous voici peu à peu prisonniers dans l'enclos hermétique d'un réel triomphant avec pour seul futur le possible et le permis. La réalité s'impose et les chantres de ce concret, paraît-il inéluctable, nous demandent en plus de la regarder en face. Eh bien c'est non ! La réalité c'est l'ennemi, notre défaite, notre échec. C'est là qu'on meurt, qu'on souffre, c'est là que se prélassent le crétin, le petit chef et le grand prêtre, c'est là qu'on formate nos objets imaginaires, c'est là d'où l'amour s'enfuit, c'est là qu'on construit des cités invivables, des esprits serviles et des bateaux de guerre, c'est là qu'on nous désarme de nos folies, qu'on étouffe nos utopies et qu'on assassine nos désirs.
Sortons de ce mauvais rêve, nous qui avons su parfois nous débarrasser des tyrans, des rois et des dieux, encore un effort pour en finir avec la réalité.
Cette année nous tenterons de vous dire à nouveau que la vie est plus vaste que le réel, que le monde n'est pas ce qu'il est, il est fait de désirs à inventer, de secrets qui vous appartiennent et d'ailleurs qui vous attendent.
Jean-Michel Ribes
Saison 2005 – 2006
Éditorial en chansonnette Lecteur ou passant guilleret / Qui porte au théâtre intérêt / Sache que celui-ci après / N'est pas une maison d'arrêt
Ici nous aimons l'art moqueur / Qui tamponne les commandeurs /En nous faisant léger le coeur / Et le cerveau libre penseur
Refrain : Vive le Rond-Point / Vive le Rond-Point / Tsouin Tsouin / Vive le Rond-Point / Et son foutu tintouin Acteurs, auteurs, ils sont grand nombre / A taper le soir quand vient l'ombre / Sur le sérieux qui vous encombre / Vos nuits vos jours et les rend sombres
Entrez, venez vous faire la belle / Des religions qui vous ficellent / Et des morales sentinelles / Assises aux deux bouts du tunnel
Refrain : Vive le Rond-Point / Vive le Rond-Point / Tsouin Tsouin / Vive le Rond-Point / Et son foutu tintouin Jetez au vent n'en ayez cure / Vos habits rayés de culture / Sautez par-dessus les clôtures / Qui tiennent l'âme trop en mesure
Profitez- en pour déguerpir / Entre deux éclats de rire / Et quittez ce triste empire / Où l'ennui règne en vampire
Refrain : Vive le Rond-Point / Vive le Rond-Point / Tsouin Tsouin / Vive le Rond-Point / Et son foutu tintouin Venez y perdre la raison / pour sa quatrième saison / Le Rond-Point à profusion / Reste maison a d'évasion.
Jean-Michel Ribes "Mais alors, dit Alice, si le monde n'a absolument aucun sens qui nous empêche d'en inventer un ?" Lewis Caroll
Saison 2004 – 2005
Ce Monde

Ce monde qui tremble, bouge, ce monde qui nous câline et nous fait peur, ce monde si proche et inaccessible, ce monde que nous dominons
mais qui nous commande, ce monde a petits pas et à tornades, ce monde en vrac et en loques, aveugle, perdu et pourtant en progrès, ce monde qui tombe et se relève, puis s'invente, puis se fige, ce drôle de monde si drôle avec ses amours, ses fanfares, ses bombes et ses prêtres, ce monde où chaque jour nous glissons notre vie en tentant de lui trouver un sens, ce monde enfant, ce monde énigme, autant le dire, nous n'en avons pas d'autre. Les auteurs qui composent cette nouvelle saison du Rond-Point le savent... alors avec culot, humour et violence, ils secouent notre monde, notre seul monde.
Jean-Michel Ribes "Mais alors, dit Alice, si le monde n'a absolument aucun sens qui nous empêche d'en inventer un ?" Lewis Caroll
Saison 2003 – 2004
Ainsi donc

Ainsi donc Jarry avait raison, Ubu est roi sur terre et le décervelage va bon train. La panse farcie de bombes, à cheval sur sa machine à certitudes, tiré par un troupeau de prêtres à la conscience blette, le nouvel ordre planétaire avance au rythme des bondieuseries intègres et des tam-tams boursiers. Bombardés nuit et jour par une morale unique destinée à nous délivrer du mal vivre, du mal penser, du mal tout court, nous avions fini par nous engourdir, tranquillisés de force nous allions nous endormir.
Et puis le diable toujours lui, le diable a jailli du fond de nous. Celui qui porte refus, révolte, lumière quand la nuit des raisonnements nous accable et que la liberté se meurt d'être le drapeau d'un monde qui n'en a plus. Enfin le diable est là et nous voila tout gigotants, vifs, ébouriffes, fantasques et résistants, nous voilà par les chemins de traverse et les routes inconnues, nous voilà loin des messes et des bibles, nous voilà a aimer le monde à l'envers et les plaisirs en vertige ! Le diable est là et nous voilà vivants.
Ce diable-là j'ai souhaité qu'il soit l'hôte du Rond Point.
Jean-Michel Ribes "Mais alors, dit Alice, si le monde n'a absolument aucun sens qui nous empêche d'en inventer un ?" Lewis Caroll
Saison 2002 – 2003
Aujourd'hui

C'est d'aujourd'hui qu'il s'agit avant tout. Aujourd'hui qu'il faut vivre, aujourd'hui qu'il faut se souvenir et prévoir, avancer, penser, subir, aujourd'hui qu'il faut acheter les artichauts, découvrir Mars, soigner l'enfant, c'est aujourd'hui surtout qu'il faut aimer, voter, se battre, tenter de rire et de ne pas mourir, c'est aujourd'hui qu'il nous faut des auteurs vivants avec nous et partageant notre temps pour qu'ils nous disent que le monde est plus vaste, la réalité ni définitive ni obligatoire, et qu'avec le risque des mots et la liberté de l'inventer, la vie reste encore ce qu'il y a de mieux pour l'homme.
Saluons Catherine Tasca et Bertrand Delanoë mais aussi Christophe Girard et tous ceux qui ont entendu notre appel et permis que le prestigieux Théâtre du Rond-Point s'ouvre tout entier aux écritures théâtrales de ce début de siècle.
A travers les pages de ce petit livre qui vous raconte notre projet, vous décrit le nouveau Rond- Point et présente sa première saison, vous découvrirez notre désir de vous montrer la vigueur et la diversité de l'écriture contemporaine, sa drôlerie, sa beauté, sa gravité ; notre envie de vous faire connaître des créateurs rares, extravagants, visionnaires souvent oubliés dans la marge d'un art trop figé ; notre joie de fêter les retrouvailles du metteur en scène et de l'auteur vivant, et de réconcilier plaisir et culture.
Mais notre plus grand bonheur est de vous recevoir dans un lieu où toute parole, émotion, idée feront résistance à l'intolérance, à l'obscurantisme et à la xénophobie.
Je salue Jean-Louis Barrault qui a inventé ce lieu, Cherif Kaznadar et Marcel Maréchal qui l'ont animé, qu'ils soient rassurés: le Rond-Point reste plus que jamais un théâtre libre.
Jean-Michel Ribes "Mais alors, dit Alice, si le monde n'a absolument aucun sens qui nous empêche d'en inventer un ?" Lewis Caroll